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& liberté
Des infographies pour prendre de la hauteur.
Des histoires pour aller en profondeur.
Tout à chacun est libre de ses choix et on peut absolument être très heureux tout en venant d'un milieu défavorisé. Je ne me permettrais donc pas de juger qui que ce soit ici, surtout pas ceux qui ont fait le choix de se contenter de ce qu'ils avaient. C'est d'ailleurs la clef du bonheur et je trouve cela très admirable. Néanmoins, pour les autres qui aspirent à davantage, qui cherchent à s’élever dans la société parce qu’ils.elles ne veulent pas se contenter de ce qui leur est proposé, parce qu’ils.elles ont des rêves et veulent les réaliser, la route est longue, tortueuse et pleine d’embûches. Cette publication est la première de la série "Sortir du prolétariat", commençons sans plus attendre par le pouvoir de la détermination.
Vouloir sortir du prolétariat
Pour sortir du prolétariat, la première chose est de le vouloir. Il n’y a aucune fierté, il me semble, dans le fait de rester dans le prolétariat, dans sa banlieue, sa cité, son quartier, et de le revendiquer. J’ai l’impression que c’est pourtant parfois une grande fierté pour certaines personnes. Par exemple, il y a une petite dizaine d’années j’avais lancé le projet « les cris dans l’écrit », avec l’association Donnons-Nous Les Moyens que je présidais. Le concept était simple : réunir des textes des rappeurs de la région afin de montrer au monde que le rap était plus qu’une « musique d’analphabète » comme l’avait qualifié notre Zemmour national. L’opération avait plutôt bien fonctionné, j’avais même été interviewé par France 3 pour parler du projet, ce qui avait dynamisé les participations. Ma plus grande surprise cependant a été lorsque j’ai lu les textes que nous avions reçu… j’étais frappé par cette revendication systématique du fait d’appartenir à la banlieue.
Autour de moi, certains revendiquent leurs galères comme l’on brandit des médailles. Comme si le fait d’affronter difficultés sociales et financières au quotidien les rendait plus crédibles aux yeux du monde. Dans le jargon de la banlieue, on parle de « street credibility », la crédibilité de la rue. Pendant des années, je me suis laissé influencé par une sorte d’effet de lieu. Je voulais être accepté par mes paires, alors moi aussi je revendiquais mes origines à grands renforts de clichés. Mais étais-je vraiment celui que je voulais être ? Rien n’est moins sûr. En ce sens, il me semble que l’ostracisme commence trop souvent par nous-même, par notre entourage. C’est pourquoi, pour sortir du prolétariat il faut le vouloir. Et cela implique en premier lieu de se détacher de ces personnes toxiques qui vous empêcheront de vous élever.
Mais quand bien même vous vous détachiez de ces personnes, ce ne serait qu’une première minuscule étape. Néanmoins, dans un voyage, le plus important c’est le premier pas donc ne négligeons pas cette étape, au contraire. L’idée n’est évidemment pas de vous isoler complètement de votre entourage, mais plutôt de choisir vos ami.e.s parmi les meilleur.e.s, celles et ceux qui vous soutiendront, qui vous encourageront et qui vous aideront dans le long périple que vous comptez entreprendre. Une fois bien entouré.e, soyez prêt.e et armez-vous d’une détermination sans faille car la lutte des classes qui vous attend est sans merci.
Lutte des classes et détermination
Qu’on se le dise. Avant même de vous connaître les gens vous jugeront pour votre adresse, votre nom, votre genre ou pour la couleur de votre peau. Sachez alors que si vous voulez vous élever dans la société, accéder à des niveaux plus confortables, à des métiers plus intéressants, le parcours sera plus difficile pour vous. Plus difficile ne veut pas dire impossible, juste qu’il vous faudra être déterminé.e, rigoureux.se et ne jamais perdre de vue votre objectif. Je me souviens par exemple qu’à la fin de mes études, lorsque je cherchais du travail, j’allais distribuer mon CV dans toutes les agences de communication parisienne. Entrer dans l’une d’entre elles en tant que chef de projet était mon rêve. Mais toutes mes lettres, toutes mes candidatures, restaient inéluctablement sans réponse… tant et si bien que j’étais allé jusqu’à développer un mini logiciel de relances automatisées qui relançait mes candidatures tous les jours : 300 candidatures quotidiennes, qui dit mieux ?
Il me semble en effet que le plus important est d’arrêter d’essayer de se convaincre que les choses sont justes. L’exclusion et la stigmatisation sont bien réelles, il faut prendre conscience de la situation dans laquelle vous êtes et assimiler le fait que vous serez discriminé.e. On appelle cela « la lutte des classe ». L’accepter vous fera l’effet d’une douche froide. Ça fait mal quand on se met dessous, mais sur le long terme c’est bénéfique. Ce qui m’a fait prendre conscience de cela, ce sont deux réponses que j’avais reçu à mes candidatures et relances incessantes. La première pour me dire que j’habitais beaucoup trop loin, que je n’aurais pas le courage de me rendre tous les jours au bureau (ah bon ?) et que les risques que je sois en retard étaient trop important. La seconde insinuait que je n’avais pas d’expérience, et que puisque je ne connaissais personne dans le milieu, cela ne servait à rien d’insister.
« Parce qu’à ce jour y’a deux France, qui peut le nier ? Et moi je serai de la deuxième France, celle de l’insécurité, des terroristes potentiels, des assistés. »
Kery James
En réalité, j’ai longtemps cherché à me convaincre que les choses étaient justes alors qu’elles ne le seraient jamais. L’accepter a été une libération. « Connaît ton ennemi mieux que tu ne te connais toi même » écrivait Sun Tzu dans l’art de la guerre. Vos ennemis ont plusieurs visages : ostracisme, sexisme, racisme, crainte, … Une fois que l’on sait contre quoi l’on se bat, l’on peut mieux choisir ses armes. Et sans aucun doute, votre meilleure arme, c’est vous-même. Dans mon cas, force était de constater que je ne trouvais pas de travail alors j’ai crée ma société. Après tout, puisqu’aucune entreprise ne voulait m’embaucher, j’étais résolu à créer une entreprise qui accepterait de le faire : Aaron Brainwave. Pendant plus de cinq ans, mon entreprise m’a permis de vivre et de gagner une expérience inestimable, que jamais je n’aurais pu obtenir dans aucune des agences qui me faisait rêver jusqu’alors. C’était du travail – beaucoup de travail, de l’incertitude – beaucoup d’incertitudes, des risques – beaucoup de risques mais une grande fierté.
Grâce à cette expérience entrepreneuriale, je me suis fait un réseau : de clients, de fournisseurs, de partenaires, qui sont finalement devenus des amis. Tant et si bien que huit ans plus tard, je me retrouve Directeur Financier d’Orchid Creation, une agence de communication internationale qui n’a absolument rien à envier aux agences qui me faisaient rêver par le passé. Et le plus drôle dans toute cette histoire, c’est que rien de cela n’aurait été possible si j’avais trouvé du travail ! La détermination et le travail mes ami.e.s, voilà les clefs.
Oser relever la tête et travailler sans relâche
Je vis en ce moment au Mexique, plus précisément à Mexico District Federal, la capitale. Ici, la pauvreté fait des ravages et le clivage entre les quartiers favorisés et défavorisés est incommensurablement plus grand que celui que nous pouvons constater en France. Au Mexique, aucune aide sociale n’est accordée et il n’est pas rare de voir des enfants en très bas âge mendier dans la rue, une quantité impressionnante de gens dort dans la rue… quand à quelques rues, certains ont des hélicoptères sur le toit de leur villa. Pourtant, ces mêmes gens sont très débrouillards ! Vous n’imaginez pas tous les petits stands de vente que l’on trouve ici. Certains ramassent les canettes dans les poubelles pour en faire de petites sculptures qu’ils revendent ensuite, d’autres proposent des morceaux de mangues saupoudrées de chili, d’autre encore réparent votre vélo au coin d’une rue pour quelques pesos. Je suis sans cesse impressionné par tant d’astuce.
En France, nous avons accès à l’école, à des aides sociales, à des moyens de transport, la législation couvre les individus, il existe des aides à la création d’entreprise, des réseaux de partage d’expérience etc. Voilà pourquoi j’ai beaucoup de mal à comprendre comment certaines personnes peuvent revendiquer leur appartenance au prolétariat tout en se plaignant de la difficulté d’en sortir. Cette revendication me semble être la marque d’un profond manque de motivation, une sorte de lâcheté dans laquelle on envisage ces difficultés comme quelque chose d’immuable, voire pire, comme quelque chose qui nous défini en tant que personne, et contre quoi on ne peut pas lutter. En somme, ce n’est rien de plus qu’une bonne occasion de se plaindre. Et c’est sûr, c’est toujours plus facile de se plaindre plutôt que de se battre pour changer ses propres paradigmes sociaux.
Se battre, c’est le terme. Il faut avant tout nous battre contre nous même. Trop souvent, nous nous infligeons à nous-même le fait d’être stigmatisé.e.s, discriminé.e.s. Il est très difficile de sortir du prolétariat, c’est vrai. Il faut franchir de nombreux obstacles et cela demande un travail sans relâche. Il nous faut fournir des efforts, construire face aux injustices, à l’adversité, et dans la mesure du possible continuer d’avancer.
Nous vivons dans un drôle de monde. Les choses ne sont jamais trop claires, jamais trop obscures, pour certains toujours plus difficiles que pour les autres. Mais voilà, c’est comme ça et c’est pourquoi la détermination est une condition sine qua none pour sortir du prolétariat. C’est à ce prix seulement qu’il sera possible d’entamer ce long mais gratifiant processus pour aller de l’avant. Prochaine étape, soigner son image.Et vous, avez-vous le sentiment que je me trompe et qu’il n’est pas possible de sortir du prolétariat ? Pourquoi ? Ou au contraire, l’avez-vous fait ? Comment ?
Amitiés,
Romain
Sources :
Gregory Derville : « La stigmatisation des « jeunes de banlieue«